KEWKEW Alors je m'appelle Louise (et d'ailleurs il y a un perso qui s'appelle comme ça sur le forum et je sens que cela va ma confusionner ), j'ai presque 17 ans (le 23 décembre, c'est important ), je suis en Terminale S (option maths, wai wai ), et plus tard, je veux travailler dans le cinéma Donc je vous dis pas la galère pour mon orientation l'année prochaine (oui, je sais, on s'en fout, mais tant pis ). Sinon, je peux me connecter à peu près chaque soir par semaine (sauf exception), mais pas pour très longtemps les jours de cours. Donc pour les RPs, je pense une moyenne de deux/trois par semaine, peut-être moins, peut-être plus (OUI, je suis normande, ça se voit ). Voilà, c'était la minute information inutile Ah oui, et j'ai connu le forum par Thaïs/Ophelia (après en avoir vaguement entendu parler sur la chatbox d'un autre forum ). Donc, oui, c'est elle qu'il faut remercier

Tu cours, tu cours vite, aussi vite que tu le peux sur le parquet, et Rainbow gambade à côté de toi. Tu passes devant la porte, fermée à double tour, du bureau de ton père, devant la porte de la bibliothèque, elle aussi fermée. Là, c'est le moment. Tu arrêtes de courir et tentes de contrôler ta longue glissade qui, théoriquement, doit se terminer dans ta chambre, juste avant ton grand lit. Mais au moment de négocier le virage, Rainbow se transforme. Ce n'est pas la première fois que cela arrive, bien sûr, mais tu ne te lasses jamais de voir son corps se transformer. Dans ces moments-là, tu t'imagines que c'est toi, une petite sorcière, qui lui a jeté un sort. Alors, évidemment, tu ne te concentres plus sur ta trajectoire, et tu regardes ton petit Daemon. Et, alors que tu admires le pelage du petit chevreuil qui se trouve désormais à tes côtés, une soudaine douleur au bras te rappelles ce que tu étais en train de faire. La glissade ! Trop tard. Tu as cogné ton bras gauche contre le mur, ce qui t'as déséquilibrée : te voilà maintenant les quatre fers en l'air, tandis que Rainbow -qui lui a fait un virage parfait- s'approche de toi, inquiet. Tu es courageuse, ou du moins tu veux l'être, alors tu ne pleures pas. Mais c'est dur, quand même, de ne pas laisser échapper quelques larmes alors que tu ne sens plus ton bras. Tu décides finalement de mettre un peu -mais rien qu'un peu- de ta fierté de côté et d'appeler ta mère pour qu'elle t'aide à te relever, parce que là, tu es un peu coincée !

«Maman ! Tu peux venir s'il-te-plaît ? Je suis tombée ! »

Lorsque tu prononces ces mots, tu sens que tu ne vas plus tenir très longtemps, les larmes vont finir par couler, tu le sais. Du coup, pour t'empêcher de craquer, tu décides de gronder Rainbow : cela te fera sentir plus forte. Et puis, oui, c'est bien lui le coupable !

« Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ! Il faut pas changer de forme comme ça, quand on est en pleine action ! Surtout pas au moment critique, celui du virage de la mort ! »

« C'était mieux d'être un chevreuil pour faire une glissade, j'ai beaucoup plus de stabilité comme ça ! Tout ça, c'est lié à l'énergie cinétique, tu vois... disons que comme ça, la répartition de mon poids sur mes quatre pattes facilitent mon accélération. Et puis, de toute façon, comme je suis une partie de toi, si c'est de ma faute, c'est aussi de la tienne ! »

« N'importe quoi ! »

Tu n'as pas tout compris ce qu'il a dit, mais peu importe, dans tous les cas, tu n'es pas d'accord ! Pourquoi faut-il qu'il soit si intelligent ! Tu n'as jamais raison, avec lui, et il veut toujours avoir le dernier mot ! Bon, c'est vrai que toi aussi, tu es têtue comme un mule, mais bon, c'est pas une raison. Entendant ta mère arriver, tu prends ton air le plus vaillant possible, et oublies bien vite ton indignation.

« Je t'ai déjà dit de ne pas courir dans les couloirs, et encore moins quand tu portes tes bas, tu sais bien que ça glisse énormément ! » A ces mots, elle te relève et observe ton bras. « C'est rien, tu auras juste une petite bosse... sauf si tu préfères qu'on le coupe. ». Elle sourit, affectueusement. « Bon, tu t'es toute décoiffée, par contre. Et ton père rentre ce soir, tu ne peux pas l'accueillir comme ça ! Viens, on va te recoiffer... »

Elle t'entraîne par le bras -celui qui ne te fais pas mal- et Rainbow vous suit. Tu lui adresses un sourire resplendissant, et tu sais qu'il comprend. Ton père rentre ce soir, et tu as le droit de veiller pour l'attendre ! Tes yeux étincellent, et tu es tant enthousiaste que tu laisses même ta mère te brosser les cheveux. Quand elle a terminé, tu te regardes dans le miroir, et tu es fière du reflet de petit fille modèle qu'il te renvoie. Ce soir, tu veux que ton père soit fière de toi. Ce soir, tu veux qu'il se dise qu'il a la plus belle des petites filles. Et la plus sage. Peut-être que cela le fera rentrer plus souvent...

Après le repas du soir, où tu as, docilement, mangé tous tes légumes, tu te postes dans le salon. Tu t'assois sur le fauteuil, devant la fenêtre, et tu attends. Ta mère t'a donné un mouchoir à broder, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que tu ne te tues pas à la tâche. A chaque point de croix, tu lèves la tête, pour être bien certaine de ne pas avoir raté son entrée dans la cours. Bientôt, la nuit tombe. Tu es obligée de coller ta tête contre le carreau pour pouvoir regarder dehors. Tu ne vois que des ombres, qui passent rapidement devant le portail. Aucune ombre ne s'arrête devant la maison. Aucune ombre ne passe par le petit jardin, aucune ombre ne rentre dans le salon et te prend dans ses bras. Tu sursautes à chaque bruit de gravier, à chaque parole... mais ce n'est jamais lui. Tu n'as même pas le cœur à parler avec Rainbow, et tu as de toute façon trop peur que cela te déconcentre. Il ne faudrait quand même pas que tu manques l'arrivée de ton père, et tout ça parce que tu es trop bavarde. Que dirait-il si tu ne l'accueillais pas correctement ! Tu résistes autant que tu le peux, mais il commence à se faire tard, et tes paupières sont lourdes. Tu dois de plus en plus te concentrer pour arriver à distinguer quoique ce soit derrière la vitre. Tu as beau t'accrocher, compter les secondes pour te tenir éveillée, tu finis par craquer, et tu t'endors, la tête sur ton petit mouchoir.

Lorsque ton père rentre enfin, il te trouve affalée sur le fauteuil. Il sourit, et te porte jusqu'à ton lit. Tu ne le sais pas, mais il te borde. Tu ne le sais pas, mais il t'embrasse sur le front et te regarde tendrement. Tu ne le sais pas, et tu rêves. Tu rêves que ton père est arrivé juste après le dîné. Tu rêves que vous vous êtes promenés dans le jardin, et qu'après, il t'a lue des histoires. Tu rêves que juste après t'avoir embrassée sur le front, il t'a fait une promesse : demain, il t'emmènera en ville, et tu pourras t'acheter un nouveau jouer. Tu souris dans ton sommeil, persuadée que c'est la réalité. Le lendemain, à peine réveillée, tu sautes sur ton père. Rainbow est tout aussi excité que toi : lui aussi se souvient de la soirée d'hier dans les moindres détails. Promenade, histoire, jouet. Tout cela vous paraît si réel, à tout les deux. Le rêve a entièrement effacé vos vrais souvenirs.


Ton père, bien entendu, a d'abord été surpris : il ne comprenait pas de quoi tu lui parlais. D'ailleurs, il a d'abord cru que c'était une stratégie de ta part pour avoir un nouveau jouet. Mais tu n'en a jamais démordu, et tes souvenirs étaient tant remplis de détails, qu'il a fallu se rendre à l'évidence. Ton père a appelé un médecin, plutôt bien réputé, de sa connaissance, et ce dernier a trouvé ce que tu avais. Une maladie dont tu n'avais jamais entendu parler. Une maladie qui te paraissait bien exotique, comme venue d'un autre temps. Ton père non plus ne la connaissait pas, mais quand il l'a fait remarqué au gentil médecin, ce dernier lui a répondu un énigmatique : « C'est parce qu'ici, on ne l'a pas encore découverte. Là-bas, cela fait plusieurs années qu'on a commencé à étudier les troubles du sommeil comme celui-ci ». Ton père a compris, lui. Pas toi. Tu souffres de narcolepsie. Cela signifie que tu t'endors un peu n'importe quand. En pleine discussion. En plein repas. Pas seulement quand tu es fatiguée, quoi. Autre conséquence de cette maladie, tu fais des rêves très réels, concrets, qui peuvent remplacer tes vrais souvenirs. C'est ce qui t'es arrivée ce jour-là. Tu ne t'en rappelles plus vraiment, mais c'est ainsi que c'est déroulé le jour où l'on a diagnostiquer ta maladie. Tu n'en gardes qu'un souvenir : une petite boîte à musique. Ton père l'avait dans sa valise, et te l'a offerte après le départ du docteur. Il t'a dit qu'elle était magique, et qu'il la tenait des sorcières. Cela ne rend ce cadeau que plus spécial à tes yeux. Depuis ce jour, tu sais que tu es malade. Depuis ce jour, tu aimes la musique.

Tu t'arrêtes devant la vitrine du magasin de musique, et admires encore une fois les magnifiques instruments. Le grand piano à queue. Les beaux violons. La majestueuse contre-basse. Tu ne t'imagines vraiment pas utiliser l'un deux, mais tu adores les regarder. Quelques notes s'échappent de la boutique, et tu t'en délectes. Tu pourrais passer des heures devant cette vitrine. Cependant, aujourd'hui, tu n'as pas le temps de flâner dans les rues de Londres, ta ville natale. Cet après-midi, ton père rentre de l'étranger, où il a dû se rendre pour son travail au Magisterium. Cela fait deux mois que tu ne l'as pas vu, et tu ne peux plus attendre. Pour préparer son retour dignement, ta mère a entrepris de préparer un vrai festin. Mise en bouche, entrée, plat, dessert, tout est prévu, et en bien trop grosse quantité pour vous trois. D'autant qu'avec toi, c'est très variable : tu peux autant engloutir assez de nourriture pour rassasier deux hommes d'âge moyen, que picorer quelques légumes et ne plus avoir faim. Quand bien même, ta mère a décidé de mettre les petits plats dans les grands. Elle aurait pu engager quelqu'un pour s'en occuper, mais cela aurait été trop facile... et de toute façon, il aurait fallu qu'elle refasse tout derrière la cuisinière, parce que cela n'aurait jamais été assez parfait pour elle. Alors autant qu'elle s'occupe de tout, elle-même. Ce matin, à peine levée, elle s'est donc mise aux fourneaux, tandis que tu dormais encore. Toutefois, ta grasse matinée n'a pas duré aussi longtemps que tu l'escomptais : il était à peine huit heures lorsque ta mère t'a réveillée pour que tu ailles lui acheter des fraises au marché. Toi qui ne disposes que de quelques jours de vacances avant de retourner étudier à Oxford, tu aurais préféré occuper ta matinée autrement, mais tant pis. Ta mère demande, tu obéis. C'est ainsi que tu as été éduquée, et tu en es plutôt fière. Et puis, il faut bien l'avouer, tu aimes te promener le nez au vent dans les artères de Londres, observer les vitrines et faire la course avec Rain... bien que tu saches d'avance que c'est lui qui va gagner.

Te voilà donc, marchant gaiement dans ta robe à fleurs, et savourant cet instant de liberté. Car depuis que ta maladie a été diagnostiquée, tes moments de solitude sont rares. Ta mère, particulièrement inquiète, a décidé de t'envoyer étudier dans un internat. Et quoi de mieux que le Collège Sainte Sophia, de si bonne réputation ? Certes, il se trouve à Oxford, et ce n'est pas la porte à côté. Mais ta mère semble penser que tu t'y trouves en sécurité, et que tu peux t'y endormir n'importe où, n'importe quand, sans que cela te cause des problèmes. Tu te dis parfois qu'elle veux juste t'éloigner d'elle, mais c'est faux, et tu le sais bien. Son regard rassuré, profondément soulagé, lorsque tu rentres pendant les vacances le prouve bien. Ces vacances sont d'ailleurs aussi l'occasion pour toi de retrouver des amis, et de t'amuser. A vrai dire, tu t'amuses également au collège, notamment lorsque tu retrouves ton groupe d'amies, un groupe assez hétéroclite mais finalement très soudé. Alors que tu souris à la pensée de tes camarades, tu passes devant quelques garçons, sans doute un peu plus vieux que toi. Ils te sourient, et tu sens leur regard qui te brûlent le dos. Et même si Rain te certifie qu'ils admirent la beauté de son pelage, tu sais bien qu'ils te trouvent jolie. Tu as quinze ans, maintenant, tu es presque une femme. C'est ce que te répète sans arrêt ta mère, à croire qu'elle a peur que tu l'oublies. Ou peut-être est-ce un moyen pour elle de s'en convaincre, et d'affronter la vérité : tu ne l'appelles plus en pleurant lorsque tu tombes après une glissade ratée maintenant, même si l'idée de tenter à nouveau le « virage de la mort » t'a de nombreuses fois effleurée.

En parlant de virage, il faut maintenant que tu tournes à gauche, et tu arriveras sur la place du marché, près de l'étalage du boucher. Cependant, c'est à ce moment là que tu aperçois, du coin de l'œil, une sorte de miroitement, sur ta droite. Intriguée, tu te tournes vers la ruelle d'où proviennent ces étranges reflets. Tu t'attendais à trouver une grande glace portée par des vitriers, ou peut-être une sculpture d'art moderne posée dans la rue avant d'être conduite dans un musée. Mais non. Rain est tout aussi étonné que toi et répète : « Bah ça alors... » Une sorte de fenêtre, une ouverture découpée dans l'air, flotte à environ trente centimètres du sol. Les contours sont assez distincts, et le plus frappant, c'est ce qu'on voit à travers cette fenêtre. Ou plutôt ce qu'on ne voit pas. Car là où devrait se trouver une cordonnerie, il n'y a que du noir. Une obscurité parsemée de temps à autre par des trainées rouges. Si Rain n'était pas aussi éberlué que toi, tu pourrais croire que tu es folle, mais ce n'est pas le cas. Tu lui demanderais bien ce qu'il en pense, étant donné qu'il a toujours réponse à tout, mais il ne fait que marmonner, encore et encore : « Bah ça alors... ». Tu t'approches de l'étrange fenêtre, bien trop curieuse pour passer ton chemin et faire comme si tu n'avais rien vu. Rain te suit. Il est tant chamboulé qu'il ne tente même pas de t'en empêcher. Tu arrives finalement à la limite entre ici... et là-bas. Entre ta vie et quelque chose qui, tu le sens, te dépasse. Entre le connu et l'inconnu. Tu passes ta main de l'autre côté. Rien ne se passe. Tu jettes un coup d'œil hésitant à Rain, puis tu passes entièrement par la fenêtre.

Tu restes bouche bée devant la beauté du lieu où tu te trouves désormais. Une immense plaine s'étale devant toi, une plaine de poussière et de charbon, surplombée par un volcan. Une beauté terrible, donc, d'autant plus que tu viens de remarquer le long filet de lave qui s'échappe du volcan. Tu te retournes, alors que Rain te rejoins, soudain angoissée : et si la fenêtre s'était refermée sur votre passage ? Heureusement, derrière toi se trouve toujours l'ouverture magique. Et tu peux distinguer quelques ombres, derrière, que tu supposes être des passants. Ta curiosité se mue en horreur lorsque tu aperçois les habitations au pied du volcan. Tu observes la lave qui poursuit sa descente, implacable, et tu comprends que bientôt, bien trop tôt, les maisonnettes ne seront plus que des cendres. Des hommes, des femmes, et même des enfants s'en échappent par flopées. Ils courent dans tout les sens, affolés, et toi, tu ne peux rien faire pour les aider. Un groupe a décidé de se protéger en hauteur, et se dirige vers toi. Ils s'approchent de plus en plus, en courant. La lave a pris de la vitesse, elle a déjà carbonisé le petit village... et tous les humains qui se sont trouvés sur son passage. Tu ne pensais pas que cela irait aussi vite, et c'est horrifiée que tu te rends compte qu'elle n'est plus très loin de toi, maintenant. Il faudrait que tu t'en ailles, que tu retournes chez toi, mais, malgré les supplications de Rain, tes pieds restent solidement ancrés sur le sol. Tu aperçois maintenant distinctement les visages des personnes qui courent vers toi. Il y a une femme qui porte un bébé dans ses bras. Le bébé crie, et ses pleurs résonnent dans tes oreilles. Une petite fille tient fermement la main d'une personne âgée dans la sienne. Un homme encourage tout le monde, tout en jetant fréquemment des regards en arrière pour observer l'avancée mortelle du liquide brûlant. A chaque fois, c'est la même chose : la lave gagne du terrain. Cependant, il ne dit rien aux autres et continue à les soutenir, inlassablement. Tu voudrais les aider, faire quelques chose, mais tu es impuissante. Tu ne peux que les regarder, et compatir. Tu ne peux qu'avoir peur pour eux. Leurs visages expriment un étrange mélange de terreur, et de résignation. Un soupçon de désespoir, cachée sous une tonne de courage. Tu comprends aussi qu'ils ont l'habitude, que ce n'est pas la première fois que la lave coule et ravage tout sur son passage. Soudain, Rain attire ton attention sur quelque chose. Une femme monstrueuse s'approche de vous, en volant. Elle hurle d'une voix criarde et cruelle, et bat violemment de ses grandes ailes de vautour. Son visage est un masque de haine, et ses orbites vides et sales te terrifient. Tu cries, mais tu ne bouges toujours pas, alors qu'elle se dirige droit vers toi. Rain finit par te pousser avec sa tête, et tu reprends tes esprits. Tout en continuant de crier, tu fais demi-tour et commence à passer par la fenêtre. Avant que tout ce monde ne disparaisse, tu te retournes une dernière fois, et emportes avec toi une terrible image. Celle des humains rattrapés par la lave en fusion, alors que l'horrible créature semble se délecter du spectacle morbide.

Tu es à nouveau dans ton monde, dans la petite ruelle. Mais autant dire que tu ne prends pas le temps d'admirer le paysage de ton « chez-toi ». Non, tu es bien trop occupée à courir, courir de toutes tes forces jusqu'à ta maison. Au début, tu continues à hurler, mais tu finis par te taire, trop essoufflée. De nombreux passants se retournent sur votre passage, étonnés de voir une demoiselle et son daemon faire un sprint en plein centre-ville. Quelques uns sont offusqués de te voir relever ta robe au dessus de tes genoux. Tu sais que c'est indécent, mais à ce moment là, tu n'y penses même pas. Tu aurais couru toute nue si cela t'avais permis d'être plus vite dans ta chambre. D'être plus vite en sécurité.


Lorsque tu es arrivée chez toi, tu n'as pas dit un mot. Tu n'as pas répondue à ta mère, tu es directement montée dans ta chambre, et tu t'es assise sur ton lit, Rain couchée à côté de toi. Lui non plus, d'habitude si bavard, n'a pas prononcé une seule syllabe. Ta mère, une heure plus tard, vous a trouvé dans la même position. Elle t'as questionnée, mais tu n'as rien dit. Tu n'osais pas prononcer de si terribles mots. Tu ne pouvais tout simplement pas. Inquiète, elle a fini par te prendre dans ses bras, et t'as caressée le dos, longtemps. Voyant que tu ne dirais rien, elle est finalement retournée dans la cuisine, se disant que tu parlerais l'après-midi, quant ton père serait là. Quand ce dernier est arrivé, il a discuté quelques temps avec ta mère. Tu entendais leurs voix étouffées, et tu te préparais à devoir tout leur expliquer. Tu ne pouvais plus garder ça pour toi, tu ne pouvais plus les laisser ainsi dans l'inquiétude. Quand ils sont entrés dans ta chambre, ils se sont installés en face de toi, en silence. C'était à ton tour. D'une voix douce, et étrangement dénuée de toute intonation, tu as raconté ce que tu avais vu. A la fin de ton récit, ta mère, en pleurs, a quitté la pièce, bientôt suivie par ton père. Tu a attendu leur retour bien sagement, les mains sur tes genoux. Tu étais dans la même position depuis plusieurs heures à cet instant, mais tu ne ressentais aucune gêne. Tu ne ressentais plus rien, en fait. Ils sont revenus. Ton père a immédiatement tenté de te rassurer. Ce n'était rien, rien du tout. Rien qu'un rêve. Après tout, tu t'endors n'importe où, aujourd'hui encore, alors pourquoi pas cette fois-là ? Pour lui, tout était très simple : tu t'étais endormie, en pleine rue, et tu avais fait ce rêve étrange, ou plutôt ce cauchemar. Cette vision avait remplacé la vérité, comme cela t'arrive de temps en temps. Rien d'inhabituel, quoi. Pas la peine de s'inquiéter, et, surtout, pas la peine de te mettre dans un état pareil. Tu as accueilli cette explication avec soulagement. Dans un coin de ta tête, une petite voix, déjà, te répétait que ce n'était pas un rêve. Mais si ton père le disait, cela devait bien être vrai, non ? Alors tu as décidé que c'était un cauchemar comme les autres, et la vie a repris son cours, comme avant... ou presque.

Tu es assise sur ton lit, face à la fenêtre. Tu observes la neige tomber depuis plusieurs heures déjà. Tu devrais travailler, et réviser tes cours. Mais la neige t'a toujours attirée, et tu n'arrives pas à te défaire de son emprise. Depuis toute petite, c'est comme si tu avais un besoin impérieux de la regarder tomber, encore et encore. Avant, tu adorais sortir et sentir les flocons tomber doucement sur ton visage et sur le reste de ton corps. Tu te roulais avec délectation dedans. Tu fabriquais des bonshommes de neige. Maintenant, tu préfères l'admirer de loin, et tu t'énerves toute seule en voyant des personnes marcher dans la neige. Tu t'offusques devant ceux qui la salissent et changent cette étendue blanche, si pure, en trainées de boue. Tu te détaches un instant de cette vision hypnotiseuse, et jettes un nouveau coup d'œil à ton bureau. Des tas de papiers n'attendent que toi. Des feuilles empilées que tu connais presque par cœur. Presque, justement. Ce n'est pas encore parfait, mais tu n'as pas le courage de tout relire encore une fois. Si tu le faisais, ce ne serait même pas pour toi, en plus. Non. Car tu as beau aimer les études, cela a beau t'intéresser, tu n'es pas du genre à travailler sans relâche. Non. C'est pour ta mère que tu travailles, la plupart du temps. Tes résultats sont désormais la seule chose qui pourrait la contenter à ton sujet. Et puis, au moins, la prochaine fois que vous vous verrez, vous aurez un sujet de conversation. Elle te parlera peut-être comme à une personne sensée, et pas comme à une folle tout droit sortie de l'hôpital psychiatrique. Tu exagères, bien sûr, et Rain, installé à côté de toi, ne manque pas de te le faire remarquer. Il arrive encore à lui trouver des excuses, lui. Il te dit qu'elle ne s'en rend pas compte, qu'elle ne le fait pas exprès. Qu'elle est simplement mal-à-l'aise. Mais toi tu ne comprends pas comment une mère peut être mal à l'aise avec sa fille... Comment une mère peut-elle douter de sa fille et la croire folle sans le lui avouer ? Comment une mère et une fille peuvent-elles se regarder pendant des heures sans rien se dire ?

Là, tu t'emportes. Tu dépeins tout en noir et te libères de toute responsabilité. Car tu dois bien avouer que depuis presque deux ans, depuis que tu as eu cette « vision », tu es différente. Tu ne dis plus grand chose, et la plupart du temps seulement ce qui te paraît essentiel. Tu as supprimé tout le superflus de tes paroles, comme pour économiser ton souffle. Comme si parler te demandait tellement d'énergie que tu choisissais soigneusement tes mots pour ne pas t'épuiser trop vite. Et que dire de ta voix ? Désormais, ta voix n'exprime plus rien. Elle est plate. On distingue à peine les questions des ordres ou des déclarations. Pourtant, tu te souviens encore de tes premiers cours de langue, où tu as appris les différents types de phrase. Tu as appris que tu devais lever le ton à la fin d'une phrase interrogative, et le baisser à la fin d'une phrase déclarative. Ta voix, elle, reste toujours monotone. Pas une seule variation, toujours le même rythme un peu hésitant, toujours le même ton. Sauf quand tu lis. Quand tu lis un livre à haute voix, celle dernière retrouve toute sa vivacité d'avant. Elle est pleine d'émotion, se diversifie, varie... elle vit. Mais tu ne peux pas dialoguer, discuter, échanger avec les autres en ne faisant que lire des livres, n'est-ce pas ? Alors cela ne te sert pas à grand chose... et tu passes quand même pour une bête curieuse auprès de tes professeurs, de tes camarades et amies, de ta mère...

Tes amies... parfois, tu te demandes pourquoi elles restent encore avec toi. Pas parce que tu doutes de toi ou n'a pas confiance en elles mais tu es simplement intriguée. Tu te demandes ce que cela leur apporte d'être avec toi. C'est sans doute en souvenir des années passées, quand tu étais encore insouciante, un peu bizarre, certes, à cause de ta maladie mais quand même... normale. Aujourd'hui, tu n'as plus l'impression d'être normale. Car peut-on l'être encore après avoir vu ce que tu as vu ? Tu secoues la tête pour chasser les images atroces. Tu continues à t'asseoir aux côtés des filles de ton groupe, mais tu te demandes parfois si c'est bien utile. Car s'il t'arrive de temps en temps de participer à la conversation, ou bien d'éclater de ton rire doux et fragile, la plupart du temps, tu ne fais qu'assister à la discussion, sans y prendre part. Tu es là sans être là. Tu restes spectatrice. Toutefois, tu es pleine de bonne volonté, et tu as décidé de t'améliorer, de te socialiser... de dépasser tout ça. Cela fait déjà deux ans, ou presque, cela ne peut pas continuer à te gâcher la vie quand même !

Tu frissonnes soudain. Les flocons innocents que tu regardais tomber avec fascination te font de plus en plus à des cendres voltigeant dans l'air. Tu sais que tu ne devrais pas faire ce type d'association, mais c'est trop tard. Rien que de penser au mot « cendre » fait tout remonter à la surface. Pour te calmer, tu te remémores ce que t'as dit ton père, comme tu le fais à chaque fois. Comme toujours, tu te dis d'abord qu'il ne s'agissait que d'un rêve. Tu te répètes que tu t'es endormie en pleine rue et a fait cet étrange cauchemar. Rain te soutient, et tu y crois presque. Mais comme toujours, alors que tu t'apprêtes à trouver la paix, une petite voix sournoise se fait entendre dans ta tête. Une petite voix, issue de ton inconscient, te rappelle qu'on ne peut rêver que de ce qu'on a déjà vu... cette petite voix, perfide, persiste et te fait part de ses autres théories, toutes plus ignobles les unes que les autres. Peut-être es-tu folle, tout simplement. Peut-être as-tu tout imaginé, peut-être que ta place est à l'asile. Toutefois, ce serait trop simple si c'était le cas. Pour la petite voix, ce n'est pas assez terrible. Alors elle reprend ses suppositions, comme toujours, et te propose une nouvelle explication, encore plus cruelle. Et si ce que tu avais vu n'était ni un rêve, ni un monde inventé par ton esprit, mais bel et bien vrai ? Et si c'était un avertissement de Dieu, pour te prévenir ? Et si le Diable voulait t'avertir, te montrer ce qui t'attend ? Plus la voix -qui n'est rien d'autre qu'une partie de toi même, la seule partie de toi qui a accepté l'horrible réalité- argumente, plus tu y crois. Maintenant, comme toujours, ta crise d'angoisse se termine. Et, comme toujours, tu es persuadée d'être destinée à une fin terrible. Car oui, tu en es sûre désormais, ce que tu as vu, c'était l'Enfer.