Londres, cette grande ville d’Angleterre, terre sur laquelle ma famille vivait depuis des générations et des générations. Enfin, c’est surtout ce que ma mère ne cessait de me dire inlassablement. Je n’ai jamais connu mon père. Ma mère me disait qu’il était parti en voyage mais que son absence l’inquiétait également seulement, j’avais du mal à la croire. De toute façon, je ne croyais presque jamais ma mère, je ne l’aimais pas vraiment car elle passait son temps à être méchante et blessante avec moi, comme si elle ne voulait pas s’attacher à moi, comme si je lui faisais peur. Je voyais bien cet homme qui venait chez nous, de nuit généralement pour que je ne puisse pas les voir, mais même s’il était discret, son odeur restait dans la maison jusqu’à ce que je me réveille. Je n’ai jamais parlé de cela à ma mère, je préférais conserver cette information secrète. Je n’avais jamais vu son visage, mais je connaissais sa voix en tout cas. Il est venu me voir plusieurs fois, lorsque je faisais semblant de dormir. Je me souviens du contact de sa main sur ma joue, je me souviens de sa voix, de son odeur et je regrette de ne pas avoir eu le courage de regarder son visage.

Cette année là, l’hiver à Londres était arrivé et son froid, sa neige et sa froideur étaient devenus ses symboles. J’allais fêter mon septième anniversaire très prochainement mais ce jour-là, ma mère avait décidé de nous emmener en forêt. Quand je dis nous, je parle évidemment de ma mère, mon chien, Esther et de moi. Esther était encore jeune et adorait courir partout et pour ma part, j’étais tout simplement folle de cet animal. Je passais mon temps à lui courir derrière et c’est ce qui me perdit ce jour-là.

Le jeune chien courrait et moi sur ses trousses. Ma mère nous suivait, ne cessant de me dire de faire attention mais je ne l’écoutais pas. Esther prit à droite d’un arbre et je me suis dit qu’en passant de l’autre côté, je pourrais l’attraper plus facilement. Je me suis précipitée, courant droit devant moi avant que la neige sous mes pieds ne se transforme en pierres. Une violente bourrasque de vent fit voler mon chapeau, après lequel je me suis mise à courir une fois encore. Ce n’est qu’une fois ce dernier rattrapé que je me suis retournée, réalisant que je n’entendais plus ma mère, ni les aboiements de mon chien. Je me suis rendue compte que je n’étais plus en forêt, que le sol sous moi n’était plus couvert de neige, ni d’herbe et encore moins de terre, mais tout simplement de pavés.

Je venais de changer de monde pour la première fois de ma vie. J’étais effrayée, je ne comprenais pas ce qui venait de se passer, je ne comprenais tout simplement pas ce qui m’arrivait. Alors je me suis mise à pleurer, à réclamer à corps et à cris ma mère qui n’était pas là. Je suis restée là, assise sur le sol à pleurer. Pauvre petite poupée recouverte de neige. Les minutes passèrent et un couple se dirigea vers moi. La femme n’était pas vêtue comme ma mère, elle portait des vêtements qui ne ressemblaient en rien à ceux de que portaient les gens de ma famille. Il en était de même pour l’homme. Cependant, ce furent les seules personnes à s’être arrêtés pour moi. La femme me prit tendrement par la main, s’inquiétant de voir une enfant seule, alors que la nuit allait tomber. J’étais incapable de parler, tout ce que je voulais, c’était rentrer à la maison mais c’était à présent impossible.

Les années passèrent et je passais le plus clair de mon temps en vadrouille, soit avec Brewel, soit seule tout simplement. Je n’avais jamais pu retrouver le chemin de chez moi et j’avais changé du tout au tout depuis ce jour. J’étais devenue agressive et je n’étais pas forcément facile à vivre. Le couple qui m’avait recueilli et adopté officiellement par la suite était composé de deux personnes importantes au sein de la communauté des gitans qui constituaient à présent ma famille. J’avais certes été adoptée à présent mais ces personnes me considéraient comme leur fille, même si j’avais l’impression que ce n’était pas vrai. J’étais bien souvent en colère, révoltée contre le monde et contre la vie en général. Tout ce que je voulais le plus au monde, c’était rentrer chez moi, retourner dans ma demeure là-bas, à Londres et quitter cet endroit où tout le monde avait un animal qui lui était propre. Tout le monde sauf moi.

D’après mon père adoptif, il me suffisait tout simplement d’attendre et un jour, je le verrais. Ce n’était que des balivernes et je n’y croyais pas le moins du monde. J’étais différente, je n’étais pas comme eux et je n’avais donc pas de daemon.

Les années passèrent et mon sentiment d’exclusion ne cessait de grandir et c’était certainement parce que je me montrais odieuse au possible avec tout le monde, sauf Brewel. Un jour pourtant, j’ai fait une rencontre qui me replongea immédiatement dans mon passé. Un homme était arrivé dans la ville et cherchait une certaine Lena. Personne ne la connaissait et pour cause, lors de mon arrivée ici j’avais changé de nom. Les Canzona, en plus de me donner un nouveau nom de famille m’avaient également donné un nouveau prénom, comme pour me prouver qu’ils étaient à présent ma nouvelle famille. Ici, tout le monde me connaissait sous le nom d’Ashlyn et si cette personne cherchait une Lena, c’était forcément parce qu’elle me connaissait.

En entendant cette nouvelle, mon cœur se gonfla de joie, j’étais tout simplement heureuse car on était enfin venu me chercher. J’avais à présent quinze ans et j’étais prisonnière de ce monde depuis bien trop longtemps à mon goût, alors pouvoir enfin rentrer chez moi était une libération. J’ai attendu le soir pour rejoindre cet inconnu dans une auberge dans laquelle il avait élu domicile pour un mois.

En entrant dans le bâtiment, je n’ai vu à aucun moment une tête connue et mes espoirs se volatilisèrent. J’allais ressortir lorsqu’une personne commanda une bière et mon cœur cessa de battre un instant. Cette voix. Je la connaissais, c’était celle de l’homme qui était venu plusieurs fois chez nous, lorsque j’habitais encore dans Mon Monde. Hésitante, je me suis dirigée vers la personne qui avait commandé à boire avant de m’installer face à lui. Il était seul et un impression de confiance et de force émanait de lui. Pourtant, ce n’est pas cela qui m’intéressa immédiatement chez lui, c’était sa voix. D’abord perplexe, j’ai fini par me présenter, engageant de ce fait la conversation avec lui.

Nous avons parlé ensemble toute la nuit. J’ai cru chacun de ses mots car il maitrisait parfaitement l’art de la parole. Il aurait même pu me faire croire que les poissons avaient des pattes et je n’aurais pas remis en question ses propos, tout simplement car il prétendait être mon véritable père. Cela expliquait tout simplement pourquoi ma mère recevait toujours cet homme, pourquoi il passait me voir dans ma chambre la nuit et également pourquoi c’était lui qui était venu me chercher. Cette nuit là, il me parla des fenêtres qui existaient, comme celle que j’avais empruntée il y a huit ans de cela. Il me parla de mon monde d’origine, Odin, mais il me parla également de celui dans lequel je me trouvais et qui n’était autre que l’Hiver Pérpétuel. Il me parla de plusieurs mondes qu’il avait visité, un monde où les êtres étaient aussi grands que des libellules, un monde où d’étranges créatures vivaient et de bien d’autres encore. Il me parla de tant de choses et sans réellement chercher à enjoliver les choses, je le prenais réellement pour un héros. Je voulais qu’il soit fier de moi, non pas parce que je volais de temps à autre, parce que je me conduisais comme une rebelle, une sale gosse mais qu’il soit fier de mes exploits, même si pour le moment, je n’en avais fait aucun.

C’est seulement lorsque lui me parla des daemons que je l’ai cru et que j’ai commencé à croire que je pouvais en avoir un.

Depuis ce jour, je n’ai cessé de le voir. J’allais à sa rencontre tous les jours, nous parlions de tout et de rien, nous apprenions à nous connaître ou plutôt, je lui parlais énormément de moi. En y réfléchissant bien, il ne m’avait jamais parlé de sa vie, mais plutôt de ce que je devais faire pour qu’il soit fier de moi. Je me suis entrainée pour devenir aussi forte que ce qu’il voulait, j’ai fait tout ce qu’il m’avait demandé et un jour, il me proposa de voyager en sa compagnie, durant une simple semaine. Il me proposa de partir loin de ces lieux que je semblais haïr pour me ramener à Odin. Je ne pouvais refuser une telle proposition et j’ai accepté.

Un mois après l’avoir rencontré, cet homme me ramena chez moi, il me ramena dans ma maison sans que je ne lui indique la direction, ce qui me prouva bel et bien que c’était l’homme de mes souvenirs. Les retrouvailles avec ma mère furent mouvementées et larmoyantes. Enfin, surtout larmoyantes de son côté car la pauvre femme venait de retrouver son enfant disparue depuis tant d’années. Prisonnière de son étreinte, je n’ai pas vu le regard noir qu’elle lança à l’homme qui venait de me ramener dans mon foyer.

Lorsque la nuit arriva, j’étais en train de dormir et j’ai manqué cette conversation qui aurait pu me faire ouvrir les yeux sur cet homme. J’aurais su qu’il n’était pas mon père, j’aurai su que ma mère avait passé une sorte d’arrangement avec lui, me vendant presque pour rembourser une dette qu’elle avait à son égard. J’aurais su que cet homme voulait se servir de moi, qu’il voulait tout simplement se servir du fait que je sois la fille adoptive d’un chef gitan pour accomplir je ne sais quoi. J’aura pu savoir que tout ceci n’était que des mensonges et que l’on se servait de moi.

Une fois la semaine terminée, cet homme m’annonça que j’allais devoir retourner dans cet autre monde, le temps que certains problèmes se règlent à Odin, des problèmes dont ni ma mère ni lui ne voulaient me parler. Docilement, j’ai accepté, je ne pouvais rien refuser à mon père après tout. Une fois de retour dans l’Hiver Perpétuel, je semblais avoir trouvé une sorte de paix intérieure, un équilibre qui me manquait depuis que j’étais arrivée ici. Mon père partit en voyage quelques temps après, me promettant de revenir lorsqu’il saurait que j’ai besoin de lui.

Les années passèrent et pourtant, je n’ai jamais eu de ses nouvelles. Grâce à lui cependant et à la foi qu’il avait placé en moi, j’ai réussi à voir mon daemon, Ajeet. Grâce à lui, j’ai presque fait la paix avec mes parents adoptifs puisque c’était la volonté de mon père. Suite à ses conseils, je n’ai cessé de m’endurcir, aussi bien mentalement que physiquement. Je continue de voler de temps en temps mais depuis son départ, je n’ai jamais cessé de regarder la lune lorsque je me sentais seule, me demandant si là où il était, mon père regardait le ciel en pensant à son Papillon Noir.

Même si je me suis assagie en apparences, je n'en demeure pas moins une voleuse et il semble que les takents d'orateur de mon "père" sont génétiques. Petit à petit, j'ai formé une bande, une bande de vandale tout comme moi, tous différents en apparence mais avec un point commun, celui d'être des étrangers. Aucun membre de cette bande ne vient de l'Hiver Perpétuel, nous sommes tous des voyageurs, des enfants ou adolescents perdus qui ne voulons qu'une chose, demeurer ensemble, avec ceux qui peuvent le plus nous comprendre. Notre nom? Les Passagers.